Depuis 9 ans maintenant l’association Tout Feu Tout Femme, organise rencontres, débats et spectacles visant à mettre en avant les femmes dans la société. Les sujets abordés pointent du doigt le long chemin qu’il reste encore à parcourir pour pouvoir enfin parler d’égalité. Pour sa 9ème édition du 13 au 15 novembre 2012, le festival vous a proposé trois jours de tables rondes animées par la journaliste Rokhaya DIALLO.
Rokhaya DIALLO |
CONDITIONNEMENT SEXISTE DANS L’EDUCATION
INTERVENANTS :
ROKHAYA DIALLO, animatrice télé et radio, chroniqueuse et fondatrice
de l’association « Les Indivisibles »
BRIGITTE LAMOURI, chargée de Mission Départementale aux Droits des Femmes et à
l’Égalité.
ELSA ARVANITIS, diplômée en sociologie des rapports sociaux de sexe, elle
milite à Mix-Cité 31, association féministe mixte pour l'égalité des sexes et
des sexualités.
BEATRICE GAMBA, éditrice de profession et militante depuis 1999 à l'association
Mix-Cité Paris, mouvement mixte pour l'égalité des sexes et des sexualités.
Ces trois jours de conférences vont permettre d’aborder de manière non exhaustive les stéréotypes face auxquels les femmes sont confrontées tous les jours.
Le mot sexisme
est un mot des années 60. Il se définit par une attitude discriminante selon le
sexe (il peut s’apparenter au racisme). Il renvoie à la construction « genrée »
de la société, attribuant des rôles par rapport à « des
prédispositions ». Celles des femmes sont rarement à leur avantage.
De manière
générale, on admet que le « masculin l’emporte sur le féminin ».
C’est lors de
la petite enfance que tout se joue, car avant 3 ans, les enfants ne sont ni
hommes ni femmes, mais c’est l’éducation qui construit leurs personnalités. Il
n’est pas rare d’entendre dire :
-
A une petite fille : « Pleure, ça te
fera du bien...» ;
-
A un petit garçon : « Ne pleure pas,
soit fort !».
L’éducation
aujourd’hui transmet un héritage social. Les attentes n’ont jamais été les
mêmes entre filles et garçons : les filles ont pour rôle de gérer
l’intérieur, les garçons ont pour rôle la gestion de la vie extérieure. Les
sphères interne/externe ont des gouvernements séparés, les pouvoirs y ont été
séparés jusque dans les années 70.
On remarquera
que la situation de la femme n’a jamais évolué aussi vite que depuis le début
du 20ème siècle. Nous sommes aujourd’hui à ce que l’on peut
considérer comme la 3ème génération de femmes :
- La 1ère génération a subi une
« discrimination légale » ;
- La 2ème génération a vu la création
de droits nouveaux ;
- La 3ème génération, celle
d’aujourd’hui, est celle de la lutte contre les stéréotypes et pour
l’effectivité des lois.
Mais si on se
porte sur les quelques chiffres suivants, on remarque qu’il reste encore
beaucoup de chemin à faire, car :
-
82% des personnes au SMIC sont des femmes ;
- Les écarts de salaire entre les hommes et les
femmes sur des postes similaires est en moyenne de 27% ;
-
Les emplois des femmes sont (dans la grande
majorité) regroupés sur 10 corps de métier liés à la sphère interne :
soins, ménage, esthétique, administratif...) ;
- Malgré le fait que les femmes représentent 40%
des effectifs des filières scientifiques dans les lycées, elles ne représentent
plus que 16% des effectifs dans les études scientifiques supérieures ;
-
Encore chaque jour en France 200 femmes sont
victimes de viols.
-
...
Malgré un
contexte législatif, juridique et social poussant à l’égalité entre les hommes
et les femmes, les faits ont en réalité bien du mal à suivre. Pourquoi ?
Cette
situation est due à un cumul de petits éléments qui font la construction de
l’individu tout au long de l’éducation : en résumé une transmission
sexiste. Les véhicules de stéréotypes sont nombreux depuis l’enfance : les
jouets, la télévision, l’encadrement privé et public...
Qui est responsable ? Qui à le
pouvoir de changer les choses ? L‘État ? L’individu ?
Au niveau des
actions publiques, un travail de longue haleine est opéré auprès des médias,
des publicitaires ; mais aussi auprès du Pôle Emploi afin d’améliorer la
diversité des postes proposés ; auprès de la petite enfance dans la
rédaction des manuels scolaires, des jeux proposés...
Pour agir dans
la sphère privée, des actions sont menées dans le secteur de l’habillement, des
jeux vidéo, et des jouets en tous genres.
L’analyse des
jeux d’enfants montre bien comment ils influent sur leur interprétation de leur
environnement (notamment au travers de leur représentation publicitaire) :
- Pour les
filles : les poupées sensées leur apprendre à être une bonne
maman ; les jouets ménage : pour bien entretenir sa maison ; le
maquillage pour être bien apprêtée et plaire ; les sentiments : avec
des jeux de société développant la complicité entre copines ; les soins
aux autres (via des animaux virtuels...) ; l’attente du prince charmant...
- Pour les
garçons : des jeux techniques pour devenir stratège ; faire
du bricolage ou de l’informatique ; des jeux de conquête : développer
sa puissance, être en extérieur ; jouets avec des véhicules ; les super
héros ; jeux de guerre avec des armes ultra réalistes.
Ce sont deux modèles
diversifiant et excluant, voire même montant un genre homophobe avec des
stéréotypes guerrier/princesse.
L’idéologie
sexiste est largement utilisée par les fabricants pour des raisons
économiques : il représente pour la période de Noël un budget par enfant
en moyenne de 268€ ! Les fabricants de jouets investissent 51 millions
d’euros dans la publicité seulement pour Noël.
Aujourd’hui,
pour vendre plus, la tendance est même à transformer des jeux unisexes en
jouets sexués, comme par exemple le Monopoly Rose, spécialement pensé pour les
filles !
[ Référence bibliographique : « Contre les jouets
sexistes »).
La littérature
jeunesse poursuit également des schémas stéréotypés dans les magazines pour les
tout-petits : il y a moins de filles que de garçons dans les scenarii,
alors qu’il y a une majorité de lectrice (ce point a appuyé les éditeurs à
intégrer plus d’héroïnes : +40%). Ce point serait justifié par le fait que
« le masculin est considéré comme universel ». De plus, un livre dont
le héro est un garçon sera acheté pour des filles ou des garçons ; alors
que si le livre a une héroïne, il sera
acheté principalement pour des filles.
Les termes
utilisés en littératures enferment les enfants dans des rôles prédéfinis :
-
Les filles sont « chipies »,
« coquettes, « amoureuses, « jalouses » ; ont des
activités ou des métiers culturellement attribués aux femmes (les mamans ont
rarement une activité professionnelle, ou alors une stéréotypée :
infirmière, maîtresse d’école...) ; elles sont souvent représentées à l’intérieur,
à la maison ; lorsqu’elles sont dans des groupes, elles sont des
« faire-valoir », elles accompagnent ou observent.
- Les garçons sont « courageux »,
« malins » ; ils « affrontent » et
« découvrent », ce sont des « aventuriers »...
Ex : Martine, les Monsieur et Madame, Tchoupi, Oui-Oui, les
princesses & les chevaliers...
Certains
éditeurs travaillent sur des images alternatives, où des filles sont présentées
dans d’autres schémas : « La princesse et le dragon »
« Marre du rose » (aux éditions Talents Hauts).
Il existe des magazines
considérés comme mixtes, mais malgré leur neutralité annoncée, ne présente que
rarement une fille en couverture (jamais une fille seule, ou bien dans un rôle
« féminin » - “Elle est amoureuse”)
Ex : Collection La Cabane Mixte avec les aventures de Max et Lili
- les personnages sont filles et garçons mélangés, mais il y a une légère
tendance à retrouver Lili dans des histoires qui touchent plutôt les filles, et
Max les garçons -.
Dans les
livres pour les plus de huit ans, on trouve vraiment une différenciation. Il
existe une pléiade de magazines spécialement conçus pour les filles qui
traitent de sujets relatifs aux bijoux, aux copines, aux vêtements...
En revanche il
n’y a pas de magazines spécialement édités pour les garçons (ils sont la
« normalité », « l’Humanité », il n’est donc pas nécessaire
de leur en dédier).
Les personnages
féminins des contes traditionnels pourraient être classés en deux catégories :
-
Les princesses douces et passives (Belle au Bois Dormant...),
- Les marâtres, sorcières méchantes et
malveillantes (dans les contes de Grimm, 80% des personnages féminins ont des
rôles négatifs).
Quelles sont les conséquences de cet
environnement sur nos enfants ?
Les petites
filles ont généralement moins confiance en elles. Elles osent moins prendre de
l’espace dans la cour de récréation, malgré de bons résultats à l’école
(souvent même meilleurs que ceux des garçons) elles sont moins aptes à prendre
la parole en classe, 15% des petites filles aimeraient être des garçons.
Le
dictionnaire des écoliers donne pour définition : la « Mère »
est celle qui a des enfants, le
« Père » est le chef de famille.
On constate
que tous les éléments de l’environnement des enfants vont dans le même
sens : au-delà de l’éducation même, les jouets et les livres confortent
l’instauration de ces préjugés comme normalité.
Débat et questions :
Comment influer les publicitaires ?
Les publicitaires influencent les modes via
les médias, mais ils ne répondent qu’à des exigences économiques, aussi il est
quasi impossible de faire pression auprès de ces derniers. La seule possibilité
pour faire changer les choses est de rendre les consommateurs responsables :
informer les parents et les inciter à faire de vrais choix pour apporter un
véritable équilibre à leurs enfants.
Par exemple si
les parents boycottent les produits stéréotypés, les industriels du jouet - comme les éditeurs et enfin les publicitaires qu’ils mandatent - finiront par
modifier leurs approches.
Est-ce que ces différenciations que l’on
trouve dans la sphère privée se retrouvent dans la sphère publique (malgré les
politiques d’égalité mises en place aujourd’hui) ?
Dans les
structures d’accueil collectives (les crèches...) les jeux proposés sont asexués ;
mais le personnel de ces lieux d’accueil reste essentiellement féminin.
L’essentiel du travail dans ces lieux réside à la sensibilisation du personnel
encadrant.
N.B. : Une crèche pilote (Bourdarias à
Saint-Ouen) réalise un travail sur le choix des jouets, sur la façon de parler
aux enfants, et d’impliquer leurs parents.
Les garçons prennent
plus souvent la parole - même au sein d’association féministe comme Mix’ Cité
qui s’était prêté au jeu lors de l’observation d’une réunion - ce fait est
inconscient, ni les hommes, ni les femmes du groupe de parole ne s’en
aperçoivent. Ceci est aussi dû au fait que les femmes réfléchissent plus à
l’intérêt de leur propos avant de lancer leur idée : « Est-ce que ce
que j’ai à dire est intéressant dans la discussion en cours ? ». Elles
sont bien souvent très exigeantes avec elles-mêmes.
On parle souvent de
racisme, peu de sexisme.
Afin de comprendre l’importance de traiter ce problème comme
l’on traite les problèmes de racisme, il faudrait remplacer le terme
« Homme » par « Blanc », et « Femme » par
« Noir » dans des situations de la vie courante...
A méditer...